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25 décembre 2008

Animae perditio - Livre VI - 1ère partie : les naufragés


Potentia : « Ô toi qui franchiras cette porte du bonheur, la souffrance qui t’habite ne te quittera désormais plus jamais »

 

 

*

*              *

 

Nous nous étions affranchies des règles prescrites
Par l’expérience interdite
Afin d’atteindre un bonheur absolu

Malheureusement, nous, les âmes perdues,
Sommes condamnées à errer pour l’éternité
Sans d’autres espoirs qu’un jour prochain
En retrouvant le néant
Nous soyons libérées de notre indicible souffrance

 

Le Forgeron des Âmes


 

 

    Animae Perditio

 

Alpha Livre VI, présent

 

 

Les naufragés

 

        Dormir. Une envie pressante et irrésistible après une dure journée de travail. Bibliothécaire à Lyon, c’est mon travail. Quelque chose de fantastique ; passer son temps à s’occuper de vieux grimoires, à fureter discrètement dans les rayons et mettre la main sur une édition originale de Faust ou lire tranquillement sur mon bureau un tome des Princes d’Ambre. Pourtant, le métier reste difficile, on doit veiller sur cette bibliothèque municipale comme un joyeux de musée, veiller à acquérir de nouveaux manuscrits et conseiller le chaland, toujours trop bruyant, qui oserait s’aventurer malencontreusement dans un labyrinthe de rayons. Comprenez-moi maintenant, avec toutes ces heures supplémentaires, j’aimerais pouvoir flâner en fin de semaine goûtant les traboules, les bars des Pentes, et profiter tranquillement des fêtes de fins d’année avec les amis, les êtres les plus chers au monde qu’on puisse avoir au monde avec la famille.

        Couché sur mon lit, clope au bec, je vérifiais du regard si ma chambre était en ordre. Une fois de plus attiré par je ne sais quelle force, il se posa sur le tableau anonyme acheté chez un brocanteur plus ou moins véreux le mois précédent, à Paris et dont l’enseigne s’appelait « Chez Pisari ». Une fois de plus il me prit au piège ; il m'envoûta aussi bien que par sa beauté que par son âme séductrice. La toile qui datait sûrement de l’époque du baroque représentait une tombe de granit au bord d’une falaise faisant face à une immensité rougeâtre, reflet du couchant. Ah ! quel cadre mélancolique aux abîmes profonds, mourir ici me semblerait bien paisible par rapport aux huées de la ville et ces chiens, ces cabots qui depuis tout à l’heure ne cessent d’aboyer, ce véritable concerto aux abois qui me fait pitié... et il s’arrêta brutalement, sûrement un enchantement divin. Mais quelque chose vint à remplacer leur malheureux concerto ; un chant discordant, indescriptible tant il avait l’air proche et lointain, sorte d’échos perdus dans la campagne. Une pâle lueur semblait envahir la pièce. Malgré tout, je fondis dans les bras de Morphée.

 

*

*                      *

 

        Le réveil ne fut pas agréable, loin de là. Lentement, les yeux s’ouvrirent sous l’impulsion directe d’un trait de soleil qui venait d’en haut. En haut ?! Aurait-on démoli mon plafond pendant mon sommeil ? Je me frottais les yeux. Etait-ce un rêve ou était-ce la réalité? Personne n’aurait pu le dire. Depuis quand ? Où étais-je ? Ce que je voyais autour de moi ne me semblait être qu’une vaste forêt sombre, et moi, couché dans une petite clairière baignée par le soleil de midi sur un lit de pierre... un autel avec ses propres glyphes, sa propre signification, mais ce fut ici même mon lieu de réveil. Je me levais. Lorsque je posai le pied à terre, un chemin surgit du sol, faisant fondre les hautes herbes séchées de la clairière et alla se frayer une ouverture dans cette forêt immaculée de vert et de noir. Je suivis cette étrangeté. Ne me demandez pas pourquoi pour mes faits et gestes à venir dans l’aventure, car je n’avais que pour seuls guides, l’angoisse et l’instinct. Le chemin s’allongeait à chacun de mes pas apparemment tandis que les allées d’arbres paraissaient un labyrinthe qui n’en finissait jamais. À un moment donné, des ronces surgirent. Ce fut bien ma veine, car, en tentant de les traverser à l’aide d’une branche, les épines déchiquetèrent mon pyjama et mon corps. Je m’en sortis sauf, clopin-clopant. La forêt s’obscurcissait. Je pensais qu’il était midi. J’étais sur le qui-vive. À tout instant, je craignais qu’un monstre sorti du néant de la forêt ne m’attaquât. Mais il n’en fut rien. En fait la surprise vint plus tard. La forêt s’éclaircissait lorsque je vis un halo de lumière, regonflant mon espoir à bloc. Enfin la fin du chemin... qui amenait à la même clairière ! L’autel, les glyphes, les hautes herbes, même le temps n’apparut pas changé... Je m’assis sur le tas de pierres rugueux, pour dormir. J’espérais par ce biais rentrer chez moi.

    Une brise fraîche se leva et les feuilles des arbres s’agitèrent. Un grelottement se fit entendre, devenant de plus en plus proche, de plus en plus proche... Soudain sortit de nulle part un petit être gris avec deux trous noirs biscornus. Et quand il bougea la tête comme un grelot, un clac clac harmonieux se produisit, comme s’il m’invitait à le suivre. J’essayais de l'attraper par jeu. Mais ne m’étais-je pas déjà approché de lui qu’il avait disparu pour ressortir dans mon dos. Il produisit un clic clic de joie. Je continuai ma chasse, tout en me demandant par rapport à mes précédentes lectures ce que ce petit être était vraiment. Il m’entraîna dans la forêt, se fichant du tracé. Ce cache-cache dura un temps que je n’ai jamais vu passer, mais je ne réussis jamais à l’attraper, car à chaque fois il disparaissait pour réapparaître un peu plus loin dans ces bois perdus.

     Les arbres devenaient au fur et à mesure moins fréquents, plus gros et leur feuillage s’épaississait. La lumière n’était plus qu’une pâle lueur qui s’assombrissait. La fin de journée s’annonçait. Enfin, je perdis de vue cet étrange petit personnage et la clameur de son clac clac s’enfuyait avec lui. Même en étant seul maintenant, je pris la résolution de continuer tout droit. Soudain un étang à l’eau plus que trouble. Je m’assis au bord, jetant des pierres-ricochets, perdu dans mes pensées. Alors, une main se posa sur mon épaule gauche. Je sursautai et me retournai vivement. Mais je fus étonné par ce que je vis. Une femme aux traits délicats, nue à la chevelure verte et tombante, sortie tout droit de la terre, couleur de ses yeux brillants. Elle me ressaisit les deux épaules cette fois-ci, me releva d’une grande force, et m’embrassa. Je me débattis légèrement. Elle me prit la main et ne la lâcha plus. Je ne pus résister à son appel, j’étais sous son charme. De plus, ce baiser goulûment donné m’avait ôté toute forme de résistance.

    Elle me promena à travers bois, un bon moment. Nous le quittâmes inopinément, au soleil couchant, pour atterrir à une vaste plage qui donnait sur un lac ou une mer, je ne pus juger. Nous longeâmes la lisière forêt-plage. Au loin une falaise, un panorama familier. « Vous êtes bientôt arrivés chez le maître », me dit-elle d’une voix suave accompagnée d’un regard étincelant. Elle avait ouvert la bouche pour la première fois depuis notre « rencontre ». Elle m’emmenait donc chez son maître ? Mais qui pouvait-il bien être ? À quoi ressemblait-il ? Je n’arrivais pas à l’imaginer, je ne pensais pas qu’une telle femme fût esclave. Mes forces revenaient petit à petit, mais son étreinte sur ma main restait extraordinaire. Pas à pas se découvrait une maison ou plutôt une vieille chaumière perchée sur la falaise, avec une cheminée qui crache à tout-va, un toit à la mousse éperdue, des briques nues, deux croisées et une porte pour compléter le tout.

    Nous nous en approchâmes. Enfin le pas de la porte. Elle me regarda mélancoliquement, lâcha ma main. Sa voix, triste, m’envoûta encore : « Il vous attend. Ouvrez la porte et entrez, c’est un ordre. Pas le droit de venir avec vous, d’autres choses à faire. » J’obéis. J’abaissai la lourde poignée, la porte couina, et j’entrai dans l’antre, refermant la porte derrière moi. Une lumière et un air sauvage emplissaient la maison. Un four se situait en plein coeur de la pièce pauvrement meublée. Un vieil homme bourru et courbé, aux haillons houillers presque crasseux, vint difficilement vers moi, aidé de sa canne, mais ses yeux pétillaient d’intelligence, de ruse et d’une vivacité rare comme ses cheveux blancs du reste. Il murmura solennellement :

     _ Je... t’attendais... ou plutôt tu es revenu, Condamné.

     _ Hum… Qui êtes-vous ?

    _ Oh moi ? Je ne suis qu’un vieux forgeron, on me surnomme « Forgeron des âmes », celui qui anime l’inanimé si tu veux tout savoir.

      _ Et où sommes-nous ?

   _ Peu importe où nous sommes. Mais dis-moi, pourrais-tu me raconter comment tu as réussi à revenir ici ?

     _ Ah, oui ? C’est bien la première fois que je viens ici et votre créature m’a amené ici sans que je sache pourquoi ?

    _ Oh ! Ma dryade ? Elle vous plaît ? Elle a été au moins douce avec vous j’espère...

     _ Oui, énormément (se sert le poignet). Au fait, elle s’appelle comment ?

    _ Elle n’a pas de nom. Vous savez, cela ne sert à rien d’avoir un nom si vous n’êtes pas libre ; ce n’est que mon humble golem de plaisirs... Elle n’a pas d’âme.      

     _ Certes..., je ne sais même pas où je suis, enfin ce monde qui m’entoure.

  _ Tu n’as pas besoin de le savoir. Tu oublieras comme habitude. On m’a demandé de te faire venir ici pour la vérification. Il viendra te chercher. En attendant, assieds-toi et raconte-moi tes aventures jusqu’à ton arrivée dans mon humble demeure.

     _ Mais qui vient me chercher ? Demandais-je interloqué.

     _ Toi pardi ! Allez prends cette chaise, buvons du thé et ton histoire.

    Une table, deux chaises en bois, un service à thé en porcelaine et une bouilloire fumante subitement devant moi. J’en perdis mon étonnement. Je m’assis donc. Le propriétaire des lieux me servit une pleine tasse d’un liquide ocre, lequel une fois dans ma gorge, se révéla doux et sucré. Je me mis à conter cette journée. D’abord mon réveil, puis ma promenade solitaire, la partie de cache-cache, la rencontre avec la dryade, tout en enlevant son érotisme, et pour finir mon arrivée. Chaque épisode était commenté par un éclatement de rire, des questions ou encore un regard intéressé. Quand j’eus terminé, la nuit et les étoiles poignaient dehors. Il me dit : « Ah ! Magnifique ! Splendide, mon enfant ! Vous auriez dû être un conteur, vous savez ? » Malheureusement, alors que je m’apprêtai à lui répondre, un tremblement secoua la terre et le mobilier, la chaumière vacillèrent. Je m’écriai :


     _ Qu’est-ce que c’est ?

    _ Il se réveille. Enfin, tu te réveilles. Tout aura bientôt disparu, moi, toi, ce monde créé de toutes pièces, même si normalement ça ne secoue pas autant.

    Tout cessa de bouger.

    _ C’est étrange, fit le forgeron. D’habitude, on se serait déjà désagrégé pour que tu puisses entrer en toi et te poser tes propres questions pour choisir ta voie, la raison pour laquelle d’ailleurs tu es venu ici aujourd’hui, mon garçon. Je ne vois qu’une seule solution. Attendre, mais malheureusement pour toi, pas ici. Prépare-toi à être ballotté par les flots. Un bateau t’attend sur la mer, juste à côté de la falaise. Condamné, va maintenant, en solitaire, quitte cette maison ! Cette conscience !

    _ Comme vous voudrez, répondis-je sans grande conviction. Je pense que je ne fais que rêver… Vous me dites que du baragouin.

    Je m’en allais à l’endroit indiqué sous la brise du couchant qui portait dans son souffle l’odeur de l’eau salée. Sur la corniche, je reconnus la stèle du tableau. Quelques inscriptions semblaient avoir été gravées, mais le temps les a déjà effacées. En contrebas, un quatre-mâts en bois était amarré. Je descendis par un escalier blotti contre la falaise avant d’atteindre le vaisseau. Je montais le pont d’embarcation. L’endroit semblait désert, une froideur inhabituelle s’en dégageait. Je regardais la passerelle et je me demandais déjà comment ce vieux fou voulait que je fasse fonctionner cet énorme bâtiment. Tout à coup, j’entendis une voix mélodieuse : « Attends-moi ! Je viens avec toi ! » C’était la dryade habillée d’une robe de feuilles rouges flamboyantes qui, après être montée, arriva tout essoufflée vers moi et rougissante :

    _ Il m’a finalement libérée en me créant une âme et m’a dit de ne pas te laisser partir seul. Et que je devrais toujours t’accompagner.

    _ Ah bon ? Ça me fera alors une compagnie, car ce bateau a l’air vide. Avec un engin pareil, il faut bien un équipage complet pour le manœuvrer.

     _ Oui, je pense bien. Pourquoi, y a-t-il un souci ?

     _ Nous sommes que deux.

     _ Qu’est-ce que tu racontes ? Frotte-toi les yeux !

    Encore un tour de passe-passe, pensais-je. Je me les frottais. Mais quelle ne fut pas ma surprise, quand je les eus rouverts, de voir un soldat patrouiller devant moi ! « Alors, comment ça va ? Lança-t-il. On est fin prêt pour la traversée les tourtereaux ? » Deux marins s’approchèrent de la passerelle et la rétractèrent. Ils s’écrièrent « HISSEZ LES VOILES » et l’équipage en chœur « Hissez les voiles ! » Le bateau s’engouffra dans l’eau.

Le soldat me proposa de m’emmener à la cabine. Nous le suivîmes vers le principal. Avant que le soldat nous laissât, je me permis de lui poser une question :


    _ Où va-t-on exactement ?


    _ Nous allons de l’autre côté, enfin comme vous l’avez dit mon Seigneur.    

J’espère que la traversée se déroulera sans encombre pour vous et que nous n’essuierons pas de tempêtes. Je dois partir maintenant, prendre mon quart. Ah oui, une dernière chose, cette cabine est adjacente à celle du capitaine, faites attention, on dit qu’il ronfle pendant la nuit. Et si vous avez besoin de quoi que ce soit mon Seigneur, faites-moi signe.

    Je n’osai pas le contredire. Le soldat partit en me remettant les clefs de la chambre. Je pénétrai dans la cabine avec ma nouvelle amie, tout en veillant à bien refermer la porte derrière moi. On s’assit tous les deux sur le lit. Je lui demandai alors:

  _ Est-ce qu’il t’a donné un nom alors ? Parce qu’il m’a dit que tu n’en avais pas, car ce n’était pas nécessaire... mais je crois que ça l’est maintenant.

    _ Un nom ? répondit-elle interloqué

  _ Oui, un mot qui permet d’appeler une chose, une personne. Tu vois, par exemple, ce truc-là, c’est un lit, tu le sais bien évidemment. Certains arbres dans la forêt s’appellent des chênes. Un nom, ça sert à désigner quelque chose. Moi, je m’appelle Daniel.

    Elle me pointa du doigt puis articula mon prénom avant de le répéter plusieurs fois, histoire de marquer ça joie. Je lui demandais s’il en voulait un aussi. Elle acquiesça. Je me mis à réfléchir pour son nom. Je lui en proposai plusieurs comme Aurélie, Cécile, Alice, Julie, mais cela ne me plaisait guère. Soudain, une idée me vint :

     _ Claire ! m’écriai-je

     _ Claiiiiireeeuu ?! Oh, je l’aime bien celui-là, me dit-elle tendrement.

    Elle me caressa les cheveux. Ainsi, je baptisai ma compagne de fortune Claire. Puis on se mit à discuter de tout et de rien. Elle savait beaucoup de choses d’après ce que je pus voir bien que me répétant souvent que cela lui faisait drôle d’être quelqu'un, car elle arrivait à penser librement. Elle était encore une enfant par son comportement, ignorant parfois des choses simples.

    Le bateau se mit à voguer paisiblement sur l’eau, comme si on naviguait sur un nuage. Nous prîmes rapidement notre aise dans cette cabine spacieuse. Un tapis prenait part au centre de la pièce, sur la gauche par rapport à l’entrée se trouvait le lit. Au bas de celui-ci était adossé un coffre où je découvrais quelques vêtements. Je pus enfin changer mon pyjama en loque contre une tenue de marin. À côté du lit, il y avait une table de chevet avec une bougie dessus, illuminant la pièce la nuit tombée. Enfin, la pièce était éclairée par un petit hublot, donnant un peu de lumière le jour.

    Je demandais à Claire si elle avait faim. Son ventre se mit alors à gargouiller et le mien lui répondit. « C’est un vrai concert, allons voir en cuisine. »  Nous sortîmes de la cabine puis nous tombâmes nez à nez avec le soldat qui nous avait guidés tout à l’heure. Il nous accompagna vers la salle à manger. Là, il nous laissa en disant que le repas sera bientôt servi. Nous nous installâmes. Les plats arrivèrent rapidement. Au menu du jour, il y avait de la salade, des côtés de porc salé, des pommes de terre et en dessert un sorbet. Le serveur nous fit la remarque de bien en profiter, car ce genre de ration risquait de devenir de moins en moins courant au fur et à mesure de la traversée. Nous nous servîmes, même si je dus expliquer à Claire comment il fallait s’y prendre. Elle avait un peu de mal à saisir la fourchette. Nous nous souhaitâmes mutuellement un bon appétit.

    Les jours s’écoulèrent ballottés par une mer calme, parfois un peu mouvementé par quelques coups de brise. On ne s’ennuyait guère ; Claire apprenait tantôt de moi, tantôt de l’équipage. J’essayai de donner un coup de main, en nettoyant le pont et en participant à la vie de l’équipage. Je n’arrivai pas à comprendre ce qui m’arrivait et je ne cherchais plus d’explication.

    Pourtant un soir, alors que nous nous promenions sur le pont et que la pleine lune brillait parmi les étoiles, un épais brouillard vint subitement à tomber. Le guetteur du navire s’alarma.       Il s’écria : « Tous aux armes ! Et vous deux en bas, rejoignez votre cabine ! » Je me précipitai dedans, entraînant Claire, décontenancée, avec moi. La frayeur commençait à nous envelopper. Je jetai un œil par le hublot. Rien que la nuit noire. Le silence s’installe, se fait lourd et pesant.  Je le rompis :

_ Contre quoi vont-ils devoir se battre ?

_ Je n’en sais rien, mais on dirait que le guetteur était vraiment alarmé, j’ai senti dans sa voix une peur certaine…

    Elle fut interrompue par le bruit d’un canon, auquel d’autres au loin répliquèrent. D’un coup, nous entendîmes avec effroi les râles de l’équipage comme s’ils agonisaient. Le bâtiment commença à tanguer sérieusement, à se soulever même. Je réussis à retenir Claire, à nous placarder contre un mur afin de ne pas perdre l’équilibre. Le bateau cessa de tanguer. Je me risquai à jeter un œil dehors. Le brouillard était toujours là. Rien n’indiquait un quelconque danger, comme si le navire était redevenu fantôme. J’assignai Claire dans la cabine et je partis un peu explorer. Je découvris ici et là des corps sans vie de l’équipage, sans aucune blessure apparente, comme si quelque chose d’autre les avait tués. En effet, leurs visages étaient figés, déformés même, d’atroces souffrances pouvaient se lire dessus. Je regagnais la cabine, écoeuré par cette tragédie. Au moment où je refermais la porte, les canons avaient repris leur récital. Je demandais à Claire si elle avait entendu parler de ce phénomène. Elle me répondit qu’elle n’en savait rien, que les marins ne lui avaient pas raconté d’histoire semblable à celle qui se déroulait devant nos yeux.

    Un nouveau boulet toucha le bateau. Claire sent les flammes et la fumée approchées très dangereusement de la chambre. Elle paniqua totalement. Elle sortit en courant, sans m’attendre. Je tentais de la suivre. Elle disparut dans la fumée. « CLAIIIIRE ! » m’écriais-je, désespéré. Mon cri fut étouffé par un grand mouvement de l’eau. Quelque chose de gigantesque sortit à gauche, de là où venaient les coups de canon. Une énorme baleine sortit des flots et s’écrasa sur le quatre-mâts, le fracassant en deux. Par un ultime réflexe, je réussis à me jeter par-dessus bord. Après quelques secondes passées sous l’eau où je faillis m’étouffer, je pus saisir dans un dernier sursaut une planche. Je m’évanouis.

 



INTERLUDE

 

    Des échos lointains au bord du sommeil. Des coups qui résonnent, inlassables. Des coups et des trompettes de guerre aux cris stériles, face au chant de la lyre et de l’écriture créative. Le monde est ainsi quand j’écris ces lignes sur ce navire ballotté par les vagues d’écume et d’explosion. Je suis en terrain connu. J’ai l’impression de revivre quelque chose de familier.

 

TEMPS MORT

 

    Mais maintenant, je ne veux plus revoir le dehors. Seulement fuir, être dans ma coquille de noix pour la solitude. Penser fait mal. Même s’il est là pour me réconforter dans ce malheur, des jours et des nuits depuis le départ, je suis terriblement seule. Pourtant, nous recevons un mauvais coup de canon et me voilà nouveau naufragé. Ce ne sont que des bribes, que des souvenirs.

TEMPS MORT

 

    Au milieu de l’infini bleuté, une douce musique qui apaise les âmes, amère de toute mélancolie, chaude parfois dans cette mer glacée. Et moi je dérive je ne sais où sur une planche en bois, seul bout de ma vie. Je ne sais même plus qui je suis en fermant mes yeux dans ce monde perdu.

 

TEMPS MORT

 

    La mer est immense. Derrière moi coule l’écume des vagues passées. Sur le sable fin, haillons voluptés de l’ombre des palmiers et sous un mirage, je crois, arrive une figure. Ô île solitaire que je rêve, accueille-moi dans tes bras pour que mon doux rêve prenne vie.

 

TEMPS MORT

 

 

 

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